Fibromes story
Les fibromes utérins, on en parle? Dans cet épisode d’Odyans, des femmes entrent dans le (rouge) vif du sujet pour dénormaliser la souffrance gynécologique.
Transcription
«J'avais tellement perdu de sang, mon taux de fer était tellement bas, l'anémie et tout, que j'ai dû avoir quatre transfusions sanguines. »
« J'ai commencé à avoir des règles hyper douloureuses, c'est-à-dire que c'était tellement douloureux que même les calmants que j'avais l'habitude de prendre, parce que je prends énormément d'ibuprofène, ça ne calmait plus du tout. »
« Je manquais mes cours. Mettons que j'étais en classe, j'allais dans les toilettes me cacher et pleurer parce que j'avais trop mal au ventre. »
« J'ai des règles abondantes depuis l'âge de 9 ans. Je suis très abondante en fait. Mes menstruations sont terribles et je souffre d'anémie continuellement. »
« C'est malheureux. On dirait que les femmes, on leur a donné un titre de : "Ah, c'est des chialeuses. Les menstruations douloureuses, c'est normal." »
Aujourd’hui à Odyans, on entre dans le vif d’un sujet qui touche des millions de femmes. Et quand je dis vif, je veux dire rouge vif. Yup! On va parler de flux menstruel. De serviettes sanitaires. De sang. Mais aussi de douleurs. De détresse. D’isolement. Ça sera pas une pub de produits d’hygiène féminine. Y’aura pas de fille supposément menstruée, toute souriante, en train de faire du plongeon ou de la natation. Non, dans notre cas, la fille serait plutôt angoissée de se lever de sa chaise. Ou bien pliée en deux avec des anti-inflammatoire dans la main. Aujourd’hui à Odyans, on dénormalise la souffrance gynécologique. Aujourd’hui à Odyans, on met en lumière un enjeu qu’on occulte, mais qui touche pourtant 1 femme sur 5, surtout les noires. Aujourd’hui à Odyans, on parle de fibromes utérins. Alors comme on dit : ann bay odyans.
Si vous ne savez pas c’est quoi un fibrome utérin, en voici une description simple, par Aissatou Sidibé. C’est la présidente-fondatrice de l’organisme Vivre 100 Fibromes.
« Un fibrome, c'est une masse musculaire qui se trouve au niveau de l'utérus, qui peut aller de la taille d'un petit poids à la taille d'un pamplemousse, et qui peut se situer à plusieurs niveaux : à l'intérieur de l'utérus, à l'extérieur de l'utérus ou dans le muscle utérin. Il y a des femmes qui ne vont pas avoir de symptômes dans leur vie, mais on estime que 20 à 40 % des femmes vont en avoir et ça va provoquer des impacts très handicapants sur leur santé. »
Des impacts, il y en a de toutes les sortes. Il y a le genre pas mal gênant…
« Je sors de chez moi, je devais apporter une 2e paire de jeans, des vêtements de rechange ou quoi que ce soit au cas où. »
… Et il y a le genre qui te pourrit carrément la vie.
« Même émotionnellement, c’était lourd. Je faisais beaucoup d’anxiété et de dépression à cause de ça. »
Celle qu’on entend, c’est Lordna. Une jeune femme qui a toujours aimé bouger, faire des activités physiques, des sorties, etc. Mais à l’adolescence, elle a commencé à souffrir de kystes ovariens et, pas longtemps après, de fibromes. Ç’a la complètement changée.
« Le moindre stress pouvait déclencher ça. Les deux, trois premiers jours de mes règles, je savais déjà que je ne pouvais pas sortir de chez moi. Au niveau de l’anémie, c’était difficile : je perdais le souffle même quand je promenais mon chien, je n’étais plus capable de faire de l’exercice longtemps, quand je faisais du vélo avec mes amis, des fois j’étais comme : "non, je ne peux pas, j’ai trop mal ou sinon j’allais shut down à chaque fois. »
Les fibromes – et de manière plus générale – les problèmes de santé gynécologique, ça peut carrément dicter comment tu vis ta vie. Parlez-en à Noire Mouliom, photographe et créatrice de contenu.
« Ça impacte de plusieurs manières. Ça impacte au niveau de ma carrière, ça peut impacter au niveau de ma vie de famille ou avec mes amis, mes relations d'amitié et tout, dans le sens que souvent, je dois construire mon horaire par rapport au cycle. Parce que j'étais comme, ok, si à peu près cette semaine-là, je pense que je vais avoir mes règles, on va essayer de ne rien booker pour y aller vraiment slow. Mais le truc avec les fibromes, le truc avec l'endométriose, c'est que souvent, on a des flare-ups. On ne sait pas quand s'attendre. Des fois, les règles sont tellement irrégulières. C'est une surprise, comme boum! Par exemple, tu prends l'avion, ça trigger,tu te mets à saigner dans l'avion »
Avoir des fibromes, ça veut dire trouver des tactiques, rien que pour passer la journée. Ça veut dire manœuvrer comme on peut, en combinant les serviettes sanitaires et les tampons, en trimballant du linge de rechange et, quand la douleur s’en mêle, en se tournant vers les pilules. Avec tous les problèmes que ça peut entraîner. Écoutons par exemple l’expérience de Berty.
« Vers la mi ou la fin 2020, j’ai commencé à avoir des règles hyper douloureuses, c'est-à-dire que c'était tellement douloureux que même les calmants que j'avais l'habitude de prendre, parce que je prends énormément d'ibuprofène, ça ne calmait plus du tout. Je me suis retrouvée à prendre tellement d’ibuprofène que mon estomac était irrité. J’ai commencé à faire de l’ulcère c’était compliqué […] Je suis obligée de superposer les serviettes. À la limite, j'ai un flux qui est tellement abondant que j'utilise des serviettes post-partum. J'utilise des serviettes maxi que je suis obligée de changer tout le temps. J'ai essayé la coupe menstruelle, ça n'a pas marché. Les tampons, je n'en parle même pas. Bref, c'était un enfer. »
La majorité des femmes auxquelles on a parlé ont eu leur diagnostic à l’âge adulte. Et ça, même si elles démontraient des symptômes depuis l’adolescence, voire avant ça. Marina par exemple, a appris à 29 ans qu’elle avait des fibromes.
[…] Je suis allée aux urgences pour une douleur horrible à l'utérus et au bas ventre. Au final, c'était un kyste qui avait explosé, selon le médecin qui était de garde à l'époque. Et en faisant l'échographie, il a découvert que j'avais un fibrome de la taille d'une balle de tennis ou de ping-pong. Quand il a fait l'analyse, je n’étais pas choquée parce que je savais que ça devait m'arriver à un moment donné, mais j’ai réagi quand même avec beaucoup d’anxiété. »
Ce qu’il faut savoir, c’est que les fibromes utérins sont prévalents dans la famille de Marina. Et elle, ses menstruations sont difficiles depuis qu’elle est toute petite.
« J'ai des règles abondantes depuis l'âge de 9 ans. Je suis très abondante en fait. Mes menstruations sont terribles et je souffre d'anémie continuellement. »
Des fois, les symptômes causés par les fibromes s’aggravent tout d’un coup, plus tard dans la vie. C’était le cas pour Cynthia. Avant la trentaine, ses fibromes ne lui causaient pas trop de soucis. Mais durant un moment de sa vie particulièrement éprouvant, son état a vite dégénéré.
« De 36 à 38, avant l'opération, la progression a été rapide. J'ai été comme un an, un an et demi où, quand j'allais travailler, les premiers jours de mes menstruations, j'étais obligée, le midi, d'aller me coucher à l'infirmerie pour pouvoir faire le reste de ma journée, parce que j'étais vraiment les 7 jours en hémorragie. J'ai commencé à avoir mes menstruations le 1er juin, je m'en rappelle, en Haïti, où j’étais pour l’enterrement de ma grand-mère. Puis, on est allés aux États-Unis pour l'enterrement de mon oncle. Et entretemps, j'ai attrapé le chikungunya […] Je me rappelle : du 1er juin jusqu'à ce que je me fasse opérer en octobre, j’ai été en hémorragie quatre mois. C'était des tasses par jour. J'étais en arrêt de maladie déjà à cause du chikungunya. Pis là, après ça, quand ils m'ont fait les tests, je leur ai dit : "ben là, ça fait trois semaines, non seulement j'ai le chikungunya, mais je suis en hémorragie depuis trois semaines, ça n’arrête pas». Là, ils m'ont mis en arrêt maladie. En fait, mon arrêt pour le décès de ma grand-mère et de mon oncle a juste continué. C'était pas évident. Mon fils, à l'époque, avait peut-être 11 ans. Quand l'épisode a passé, quelques années après, il m'a dit : "c'était une période où j'étais un peu déprimé parce qu'on était habitué en famille de sortir, de faire des activités. Pis là, tout d'un coup, maman, tout l'été, est couchée sur un sofa." Je pouvais juste rester couchée. »
Les effets des fibromes peuvent aussi se faire sentir quand on change ses habitudes de vie. C’était le cas pour Carolyne, lorsqu’elle a arrêté de boire.
« Quand j'ai arrêté de consommer de l'alcool, j'ai commencé à ressentir plein de maux, j’imagine, que je couvrais avec l'alcool. J'ai commencé à sentir qu'il y avait quelque chose dans mon estomac. Je pensais que j'avais des problèmes de digestion, donc, je suis allée consulter. On m'a fait des examens et c’est à ce moment qu’on a découvert une grosse masse. Au début, on m'a juste dit ça. On a découvert une grosse masse qui est anormale. C'est sûr qu'au début, ça fait peur quand on dit que t'as une masse, puis qu'on sait pas c'est quoi. Plus tard, j'ai eu un IRM, pour aller voir vraiment en profondeur, c'était quoi, si c'était une masse cancéreuse ou si c'était un fibrome. C'est là que j'ai appris c'était quoi des fibromes. Et honnêtement, à ce moment-là, j'espérais que ce soit un fibrome et non pas, évidemment, une masse cancéreuse. Et c'était bel et bien un fibrome de 7 cm de diamètre. Donc, il était assez gros. »
Dans le cas de Carolyne, c’est vraiment après l’accouchement que ses règles sont devenues atroces.
« Honnêtement, je n’ai jamais eu de menstruations aussi douloureuses que ça. Surtout après la grossesse, quand l’utérus a commencé à reprendre sa place après l’accouchement. Les premières menstruations ont été horribles et le sont encore. »
Parlant de grossesse… Un des problèmes avec les fibromes, c’est leur impact sur la capacité à tomber enceinte. Dépendamment d’où ils se situent dans l’utérus, ils peuvent nuire ou même bloquer tout désir de porter la vie. Ils peuvent rendre les rapports sexuels désagréables, voire douloureux. Et ils forcent aussi à faire des choix qui demandent une grosse réflexion. La présidente fondatrice de Vivre 100 fibromes, Aissatou Sidibé a passé par cette réflexion quand ces fibromes sont revenus il y a 3 ans.
« Mes fibromes sont revenus. Ça ne me posait pas de problème jusqu'au moment où j'ai pensé à concevoir. Et là, je me suis interrogée et je me suis dit ça y est, on est rendu là en fait. On est rendu là. On est rendu là parce que le fibrome utérin peut être un problème au niveau de la fertilité. Dans 1 à 2% des cas, le fibrome est responsable de l'infertilité. Statistiquement, on le sait en fonction de l'emplacement du fibrome, en fonction des chirurgies. Oui, c'est un risque aussi. Quand on se fait retirer les fibromes, on vient jouer un peu dans l'utérus. Donc, il y a des cicatrices qui se font, des adhérences. Si vous ne connaissez pas les adhérences, faites vos recherches là-dessus. C'est complexe et finalement, ça ne résout pas le problème puisque lorsqu'on veut tomber enceinte et qu'il y a des fibromes et qu'on se fait opérer, déjà, on nous dit qu'on a un laps de temps pour se faire opérer. Et ça, c'est normal. On peut attendre six à un an en attendant que l'utérus guérisse. Mais qui nous dit justement que la chirurgie qu'on a eue n'aura pas de conséquences sur notre fertilité par la suite? Et finalement, on se dit, surtout quand on essaye de tomber enceinte, on se dit, mais est-ce que c'est la chirurgie que j'ai eue il y a 3-4 ans qui pourrait être responsable aujourd'hui de problèmes ? »
À cause des fibromes, des femmes sont confrontées au choix difficile de supporter leurs souffrances ou de renoncer au désir de porter la vie. À bientôt 37 ans, Noire est rendue là et elle doit envisager plusieurs options différentes pour devenir parent.
« Étant donné qu'il y a quelques semaines, j'avais eu un gros flare-up, j'avais saigné pendant un mois et demi et j'avais vraiment, vraiment eu mal. C'était vraiment l'enfer et je suis présentement en questionnement à savoir si je vais me faire retirer l'utérus et que je trouverais un autre moyen pour avoir des enfants. Puis justement, c'est quelque chose que je vais voir la semaine prochaine avec mon gynécologue, que ça soit genre, peut-être de «froze my eggs» et voir les options qui s'offrent à moi. Puis comme genre, I don't know, mère porteuse ou genre l'adoption. J'ai quand même bientôt 37 ans. J'ai envie de devenir parent, mais pour moi ce n'est pas une fatalité si je ne porte pas l'enfant. C'est • une réflexion que j'ai eue, ça fait plusieurs années, parce que j'ai déjà fait une fausse couche. Mais pour moi, être mère, ce n'est pas juste de porter un enfant, mais il y a plusieurs façons de devenir mère. Je ne suis pas fermée aux options ou à travers la technologie qui s'offre à moi, que ce soit faire du in vitro ou faire affaire avec une mère porteuse ou l'adoption. Je suis ouverte à tout. Mais si je tombe enceinte, c'est sûr que je serais heureuse. »
Vous l’avez peut-être entendu : beaucoup de femmes se font dire que c’est normal de saigner beaucoup, d’avoir mal durant les menstruations.
(Berty) « J’avais déjà des règles très, très, très douloureuses et très abondantes pendant plusieurs années et on m’avait toujours dit que c’était normal, qu’il fallait supporter. »
Cette idée-là, elle se transmet même de mère en fille, mais aussi de soignant en patiente. Elle est persistante, et on finit souvent par l’intérioriser et endurer ses souffrances pendant des années. Jusqu’au jour où on se compare à d’autres et qu’on réalise qu’on vit quelque chose de problématique. C’était le cas entre autres pour Noire.
« J'ai l'impression que si j’avais traité ça plutôt et si on m’avait prise au sérieux comme depuis même mon adolescence… Malheureusement souvent dans nos cultures, souvent nos parents nous disent ah c'est normal de souffrir. Moi ça a été mon cas. Ma mère – peut-être qu'elle n'était pas trop courante de ça, – mais elle faisait juste dire que c'est normal de souffrir, c'est normal. Mais non, ce n'était pas normal comment je souffre. Souvent, je manquais de mes cours. Admettons que j'étais en classe, j'allais dans les toilettes me cacher et pleurer parce que j'avais trop mal au ventre. Étant donné que ma mère a tellement banalisé ça, à un moment donné, ça a vraiment fait son chemin. Je suis comme, c'est normal que j'ai mal, c'est normal. Après ça, dans ma vingtaine, quand je regardais mes amis, il n'y avait personne qui souffrait comme moi. C'est là que ça a commencé. J'ai semé une graine. Je me disais que ce n'était pas normal comment je souffrais. Ça empirait. »
Souffrir de fibromes utérins, ça peut te faire te sentir différente des autres, seule au monde. Parce que oui, toi aussi t’as des menstruations, sauf que dans ton cas, ça prend toute la place et ça t’empêche de vivre. Et comme Lordna l’explique, ce n’est pas tout le monde qui a un utérus qui comprend ça.
« J’étais gênée d’en parler. Des fois, j’expliquais aux autres filles que je saigne beaucoup, quoi que ce soit et elles répondaient qu’elles aussi. Je me disais : "ok, tout le monde". Mais pas au même niveau que moi. C’était complètement différent. J’étais gênée d’aller à la salle de bain comme trois fois dans une heure. Ce n'est pas normal. Moi, je devais mettre une serviette ET un tampon. Elles étaient comme : "quoi?!" J'étais comme :"ben oui, au cas où. Elles me disaient : "bah, tu peux mettre un protège dessous." J’étais comme : "non, tu comprends pas. Tu comprends pas, ça marche pas comme ça." »
L’errance médicale est un autre effet des fibromes. Des femmes doivent souvent consulter plusieurs professionnels de la santé différents avant d’avoir un diagnostic ou un traitement viable. Ça contribue à les faire se sentir isolées et incomprises. Lordna par exemple, parle d’un vrai parcours du combattant.
« Dans le fond, j’ai eu le diagnostic après j'avais une grossesse ectopique. C'est là qu'ils ont découvert que c'était la cause. Ensuite de ça, c'est là que j'ai trouvé que le système n'était pas nécessairement là pour moi parce que ça faisait plusieurs fois que j'allais à l'hôpital par rapport à des douleurs, mais ils n'avaient jamais vraiment fait tous les diagnostics possibles pour savoir c'était quoi exactement. Ce qui fait que je l'ai su après. Je trouve que j'ai pas été suivie. C'est moi qui devais courir après le système pour pouvoir prendre des rendez-vous, demander ce qui peut être fait, si je peux avoir un scan, si je peux avoir si ou quoi que ce soit. Puis au niveau des douleurs, ils voulaient me prescrire soit des antidouleurs, mais il dit rien qu'on peut faire pour toi. »
Comme d’autres à qui on a parlé, Marina a eu l’impression qu’on minimisait le poids que ses symptômes ont sur sa vie. Et ce qui la fatigue royalement, c’est d’avoir l’impression que SA responsabilité de recevoir les bons soins.
« À l'époque, j'avais 29 ans quand je l'ai su. Et comme j'ai dit, le médecin s'est comporté quand même assez bien, bien qu'il a banalisé la chose. Beaucoup de femmes ont des fibromes, ne vous inquiétez pas, etc. Moi, j'ai toujours eu ce type de banalisation, comme quoi vous n'allez pas en mourir, ne vous inquiétez pas. Mais la réalité, c'est que je sais à quel point ça affecte ma vie. Mon anémie c'est un gros problème pour moi, mes règles abondantes c'est un gros problème pour moi. Donc c'est toujours cette banalisation puis je trouve ça aussi très déplaisant de toujours avoir à se battre, se défendre, s'affirmer de manière plus forte quand on parle de fibromes comme si le médecin ne prendrait jamais ça au sérieux, donc c'est à toi de le faire, c'est à toi de faire tes recherches, c'est à toi de te protéger, etc. C'est ça qui est le plus difficile pour moi. »
La banalisation, elle vient aussi de plus loin que notre entourage. C’est la société au complet, qui nous renvoie l’idée qu’avoir un utérus, ben ça vient avec des douleurs, des inconforts, et faut s’y faire. Comme le dit Carolyne :
« C'est malheureux. On dirait que les femmes, on leur a donné un titre de... Ah, c'est des chialeuses. Les menstruations douloureuses, c'est normal. »
Cette banalisation et ce sentiment d’être incomprise, ça crée l’impression d’être livrée à soi-même. Que notre douleur ne compte pas. Une prise de conscience publique est nécessaire, et même inévitable, d’après Aïssatou, de Vivre 100 fibromes.
« Oh, c'est rien. On n'en meurt pas. Oui, les femmes se plaignent. C'est normal d'avoir des règles. Donc, il y a cette forme de banalisation et de frustration de ne pas être écoutée par les bonnes personnes qui sont là pour nous soigner ou pour nous écouter tout simplement dans notre entourage. Et une forme aussi d'isolement. Où est-ce qu'on va quand on a justement un diagnostic qui nous provoque justement, qui nous pourrit la vie en fait ? J'en suis bien placée pour en parler puisque j'ai vécu 10 ans avec des fibromes, mais moi qui étais une ancienne athlète de haut niveau. Il y a eu des matins qui ont été durs, oui. Il faut continuer à en parler. Il n'y a pas assez, justement, de plateformes qui en parlent. Pour moi, le fibrome est un enjeu de santé publique. Quand on regarde les statistiques, c'est alarmant. Et ça, je le dis : bientôt, là, on fait la sensibilisation en octobre sur le cancer du sein. De plus en plus, on fera de la sensibilisation sur le fibrome, l'endométriose. Les chiffres parlent d'eux-mêmes.
C’est quoi les solutions pour les personnes atteintes de fibromes? Pour gérer les symptômes, il y a les produits de santé naturels, les infusions, les bouillotes, les sacs magiques, et tous les autres remèdes naturels. Mais il y a aussi les changements d’habitudes de vie, comme ceux que Noire a faits.
« J’avais déjà commencé à changer mon mode de vie, surtout au début de ma trentaine. J'ai compris qu'il y avait certains aliments que je devais couper. J'ai réduit énormément ma consommation de viande rouge. Je suis d’origine haïtienne et camerounaise, et on mange beaucoup de viande dans nos cultures. J’aime également beaucoup les produits laitiers, les charcuteries. J'ai réduit énormément à ce niveau-là. Si je le fais, c'est durant le temps des fêtes. On se prive des petits bonheurs de la vie! J’évite le gluten, mais on en trouve souvent partout. C'est extrêmement difficile de faire attention côté alimentation parce qu’au restaurant par exemple, t'as pas beaucoup d'options. On est habitué à cuisiner, des pâtes, à manger du pain, et de tout couper ça changer son mindset, c'est beaucoup. Et sinon, j'ai commencé à faire du yoga, puis c'est quelque chose qui m'a énormément aidée, surtout au niveau mental. On a la douleur physique, mais on a aussi la douleur mentale, d'être fatigué de combattre avec ça. »
Il y a aussi la médication. Ça peut apporter un grand soulagement, comme ça peut aussi ne pas marcher. Et ça cause des effets qui sont franchement indésirables. De toute évidence, ce n’est pas pour tout le monde. Comme le dit Aïssatou, « choisir entre la peste et le choléra, à un moment donné, on se dit non, quoi. »
Berty, par exemple, a essayé un traitement par injection pendant six mois, et elle trouve que le jeu en valait la chandelle.
« Pour des gens qui ont vécu des règles douloureuses pendant toute leur vie, ils comprendront quand je dis que ça a changé ma vie de ne pas avoir mes règles. Il y a eu un moment de ma vie où j'avais l'impression d'avoir mes règles tout le temps parce que j'avais tellement mal que ça me prenait des semaines à mon utérus de récupérer après ma période menstruelle. Et à peine que je récupérais, j'étais déjà dans le nouveau cycle et j'avais encore mes règles. Donc le fait de faire 6 mois sans mes règles, franchement, c'était inespéré. Ça a complètement changé ma vie. J'avais une meilleure qualité de vie. Je pouvais passer du temps avec mes amis, avec ma famille, faire des plans, sans m'inquiéter de la douleur, sans m'inquiéter du flux […] Avec le decapeptyl, déjà, au niveau du fait de ne plus avoir mes règles aussi abondantes, c'était bien, ne plus avoir mes règles tout courts. Par contre, il y a beaucoup d’effets secondaires parce que c'est un peu une ménopause artificielle en fait. J'avais beaucoup de bouffées de chaleur qui n'étaient pas intéressantes. »
Berty raconte qu’elle a même commencé à faire de l’hypertension artérielle après son traitement. Elle le dit bien : elle n’a rien trouvé qui établit un lien direct entre les deux. Et elle avait des antécédents dans sa famille avant de faire de l’hypertension. N’empêche que maintenant, elle doit suivre un traitement à vie pour ça. Mais pour elle c’est un moindre mal.
« Mais ça a vachement changé ma vie. Le decapeptyl n'a pas fait disparaître mes fibromes, il les a calcinés, c'est-à-dire qu'aujourd'hui j'ai des fibromes, ils sont là, ils sont visibles dans une échographie, mais ils ne sont plus actifs. Je ne me suis toujours pas faite opérer, ma gynécologue aime bien dire que j'ai gagné un sursis de 4-5 ans parce que la plupart de mes copines qui s'étaient faites diagnostiquer, presque au même moment que moi, ou après, ou même des gens de ma famille qui se sont fait opérer, certaines sont à leur deuxième, troisième, voire quatrième opération pour enlever les fibromes. Et moi, Dieu merci, je n'ai pas encore eu à passer par cette case-là. Et l'autre côté intéressant, c'est aussi que je suis tombée enceinte entre-temps. Après, j'ai juste décidé que ce n'était pas le bon moment pour moi, mais ça m'a prouvé aussi que je pouvais tomber enceinte naturellement et que je n'avais pas de problème à ce niveau. »
Carolyne aussi a essayé les injections et elle, ç’a été le contraire de Berty : les résultats ne l’ont pas du tout enchantée. Encore moins les effets secondaires.
« On m'a proposé plusieurs traitements. Je ne me rappelle pas de tous les traitements, mais c'était soit la pilule contraceptive pour aider à contrôler la grosseur ou, le choix que j'ai fait, qui était un choix pour faire fondre le fibrome, qui était le Lupron Depot. On m'avait très bien avertie des symptômes que ce médicament-là pouvait causer. C'était des symptômes qui ressemblaient beaucoup à la ménopause. Mais c'était l'option qui avait le plus de chances de faire fondre le fibrome, donc j'ai fait Lupron Depot pendant six mois. Les symptômes sont horribles, je n'ai pas hâte à la ménopause : bouffée de chaleur, dépression, des traits noirs. Puis pour finalement six mois après, le fibrome n'avait pas bougé, il était encore la même grosseur, même qu'il avait pris je pense quelques millimètres. Donc est-ce que je referais le même choix? Bien maintenant, le sachant, non. Je n'ai pas tant posé de questions à savoir à quel point ça fonctionne sur les femmes. Et encore là, je suis consciente que chaque femme a un corps qui réagit différemment aux médicaments. Donc moi, j'étais de celle que ça n'a pas réagi. »
Une autre forme de traitement, c’est la myomectomie. Ça, c’est quand on se fait retirer des fibromes par chirurgie. Lordna l’a fait en juillet 2023, après qu’elle ait parlé de son désir de grossesse aux médecins. Les bienfaits ont été phénoménaux. Elle a retrouvé la Lordna d’avant et même un an après, ça l’a remue d’en parler.
« Après ma convalescence, j'ai commencé à m'entraîner. Je te dirais que la première fois que j'ai été sur un treadmill, que j'ai commencé à courir et que je n'étais pas essoufflée, j'ai commencé à pleurer. Juste pour te dire à quel point ça a fait un impact tellement direct. Juste de tous les jours, être capable de faire des activités sportives, que ce soit au niveau de ma fatigue, ça m'a vraiment aidée. Mon anémie, mon hémoglobine a vraiment remonté. Je n’ai pas eu besoin de retourner à l'hôpital depuis. J'allais à l'hôpital presqu’une fois par mois, ou deux mois pour faire des transfusions de fer à cause que je ne pouvais pas faire des transfusions de sang. C'était vraiment lourd. Depuis mon opération, je vois la différence. Mentalement, je suis moins anxieuse. J’ai beaucoup moins d'anxiété. Niveau dépression, je pense que je n'avais plus aucun symptôme. Ça m'a beaucoup aidée parce que je sais que c'était directement en lien avec les fibromes. J'ai fait des consultations, j'ai trouvé de l'aide, mais il n'y a rien que je pouvais faire vu que c'est au niveau physique et santé. Maintenant, oui, je me suis retrouvée parce que je pense que j'ai tellement d'énergie en dedans de moi, puis je me suis dit, tu sais quoi, ça m'a trop affectée, je suis tannée, je ne veux pas que ça affecte qui je suis. J'ai tellement de trucs à donner, puis je veux être là. Ça fait que je me donne à 100 %. »
Comme l’a dit Aissatou plus tôt, la myomectomie, c’est un pensez-y bien si on veut porter la vie, parce que c’a ses risques. Il faut en être conscient et prendre les démarches qu’il faut au préalable.
« À l'époque, quand je me suis fait opérer, je le savais qu'il y avait un risque sur ma fertilité. Je le savais. J'avais fait mes recherches en tant que fibromelle. J'avais fait mes recherches. À cette époque, j'avais 32 ans et je ne sais pas, peut-être en faisant mes recherches, j'avais fait un bilan justement de fertilité et j'avais vu à l'époque que ma réserve ovarienne, l'AMH, et ça, je le conseille à toutes, je dis bien, TOUTES les femmes en âge de procréer, qu'elles soient célibataires, en couple, dans des situations difficiles ou pas, de demander un bilan de fertilité au-delà de 30 ans. Au-delà de 30 ans même. Après 35 ans, c'est un peu tard, mais entre 30 et 35 ans, je trouve que c'est intéressant parce qu'à ce moment-là, d'ailleurs, on essaye de fonder sa famille. Et même si on ne le veut pas, ça nous permet justement de poser des actions concrètes. Et ces actions concrètes, c'est quoi ? Tout simplement de faire un état des lieux, un bilan de fertilité. On va souvent entendre ces personnes vous dire, je n'en ai pas besoin parce que, ou du médecin, vous êtes célibataire, il n'y a pas de désir d'enfant maintenant, bon, ça peut attendre. Pourquoi un bilan de fertilité ? Mais le fait de savoir qu'il y a un problème, la congélation des ovules, c'est une action concrète dont on ne parle pas. On n'en parle pas beaucoup dans la communauté, c'est quand même quelque chose de concret, parce que, le jour où on voudra concevoir, on peut utiliser nos propres ovules s'il y a un problème. Donc, à cette époque-là, je me rappelle, à 32 ans, je me suis dit, OK, est-ce que tu es prête à congeler tes ovules ou pas ? Ça m'a pris quand même de la réflexion. Et au final, j'ai fait le choix en me disant non, en mon âme et conscience. »
Pour l’instant, la seule façon d’être certain de se débarrasser définitivement des fibromes et de leurs symptômes, c’est l’hystérectomie. Ça, c’est quand on se fait retirer l’utérus au complet. C’est radical, c’est pas pour tout le monde, ça empêche de tomber enceinte, ç’a des effets franchement désagréables, mais ça débarrasse des fibromes pour de bon. Vous vous souvenez de Cynthia, celle qui a enduré 4 mois d’hémorragie, en plus du chikungunya? Eh bien, elle en a subi une hystérectomie et elle en parle comme d’une véritable délivrance. Malgré la convalescence, malgré les symptômes de ménopause. Et Cynthia est très consciente que c’est pas une solution pour tout le monde.
« Aujourd'hui, ça va. Je veux dire, ça fait 10 ans. Ça a été la meilleure chose de ma vie, médicalement parlant, parce que ça m'a complètement libérée. Je veux dire, mon énergie est revenue, je n'avais plus de contraintes, plus de menstruations, c'était la joie, à ce niveau-là. Mais ça par rapport à mon histoire. Chaque femme le vit différemment. Moi, j'en pouvais plus. Je ne pouvais plus vivre comme ça. Je suis émotive, là en en parlant parce que c'était une période vraiment difficile. C'était comme, hey! Le plus vite on peut finir avec ça, le mieux c'est. Je sais qu'il y a beaucoup de femmes qui le vivent comme quoi qu'elles n'ont plus leur utérus, que la féminité est affectée. Moi, j'ai décidé de pas définir ma féminité par rapport à un utérus. Je me suis dit que la féminité, il y a d'autres choses qui définissent ça. Pour moi, je l'ai vraiment pas vécu comme une perte de féminité, là. Je pouvais faire autre chose. Je pouvais recommencer à avoir une vie de famille normale. Oui, il y a eu des questionnements. On ne décide pas de faire ça sans se poser des questions. Puis je me la suis posée. Je me suis dit, est-ce que je vais me sentir moins femme après? Mais j'avais déjà dans l'idée que ce n'est pas ce qui définissait une femme, donc ça m'a aidée. Mais pour avoir parlé à d'autres femmes qui soit ont vécu ça ou qui ne veulent pas subir cette opération-là parce qu'elles ont peur de ne pas se sentir femme après, je peux comprendre.»
Si vous vous reconnaissez dans le contenu de cet épisode, le mot d’ordre c’est vraiment de consulter! Et d’insister pour aller au fond des choses. Parce que comme on dit en créole, se met kò ki pou veye kò. C’est à toi de prendre ta santé en main, d’en être actrice, comme dit Vivre 100 fibromes.
Noire : « Si t’es jeune, dans l’adolescence et que tu souffres déjà, insiste tout de suite auprès du corps médical pour qu’on fasse des recherches plus poussées, plaide Noire. Tu n’es pas obligée de prendre la pilule contraceptive par exemple. D’autres options s’offrent à toi. »
Lordna : « Il ne faut vraiment pas banaliser la chose. Aucunement. Que tu aies mal au bras ou que tu aies mal à la jambe, va regarder ce que c'est. Si jamais un docteur te dit comme quoi que, dans le fond, ça va passer, on va essayer d'attendre quelques temps, tu es encore jeune ou quoi que ce soit, surtout à cause du risque qu'ils nous disent comme quoi on est jeune, Non, aucunement. Va voir une deuxième opinion, une troisième opinion s'il faut. Il y a des cliniques de fertilité, va au privé. »
Odyans est écrit, produit et réalisé par Christina Dabel et Ralph-Bonet Sanon. On tient à dire un grand merci à toutes celles qui nous ont livré leurs témoignages pour cet épisode. On remercie aussi Vivre 100 Fibromes pour tout leur soutien. Vous pouvez en savoir plus sur leurs services au V-I-V-R-E, 1-0-0, F-I-B-R-O-M-E-S, point C-A. Vous pouvez aussi les suivre sur Instagram et Facebook. Si vous aimez Odyans, commentez et évaluez l’épisode sur Spotify ou sur Apple Podcasts. Ça aide vraiment à faire connaître ce qu’on fait. Vous pouvez lire nos actualités et trouver tous nos épisodes, avec transcription, sur odyans.com. Merci de votre écoute et à très bientôt!