Dépression? Ki depresyon sa a?

 

La dépression dans la communauté haïtienne. Témoignages, éclairage et ressources.

 

Écoutez l’épisode :

 

Transcript

« Quand t'es en dépression, c'est comme si tout est dur, tout est compliqué, tout est une montagne. »

 

« La dépression, c’est comme un poids sur les épaules, un boulet qu’on traîne. La dépression, c’est que tu te sens pas utile. »

 

Odyans, épisode 3

Aujourd’hui, dans Odyans, on va aborder un sujet un peu sensible et personnel : la santé mentale. Si vous ressentez le besoin d’aller chercher de l’aide en écoutant l’épisode, faites-le avec les ressources à votre disposition : médecin de famille, thérapeute, psychiatre etc. On va en nommer quelques-unes à la fin de l’épisode.

Et maintenant, ann bay odyans…

 

On est en mai 2021. Christina a 33 ans, elle vit sa vie de nouvelle maman et elle aime son nouveau travail de fonctionnaire. Ça devrait être le bonheur, pourtant, ça ne va pas.

« Parce que je comprenais pas vraiment ce qui m’arrivait : j’étais triste tous les jours, je commençais à pleurer même quand je travaillais – je fais du télétravail, – je répondais aux appels et je voyais que je pleurais, mais je ne trouvais pas de raison à ma tristesse. C’est ce qui fait qu’au départ, je l’ai très mal pris. »

Il faut dire que quelques années avant, Christina a vécu un épisode dépressif. Mais à l’époque, elle prenait soin de sa mère gravement malade. C’était… compréhensible si on veut. Mais là, avec tout ce qu’il y a de bien dans sa vie, elle ne voit pas pourquoi elle se sent aussi mal.

« Je me jugeais. Je me disais Mais qu’est-ce que t’as, Christina? T’es relativement en santé, t’as un enfant, un mari qui t’aime, une maison, un parent encore en vie, des amis qui t’épaulent : pourquoi tu te sens comme ça? »

Christina essaye donc se « botter le derrière », de « faire une femme d’elle », comme on dit. Mais ça ne marche pas. « Dans un 1er temps, je me suis dit Ok Christina, t’es juste un peu down. Met fanm sou ou et ça va aller. J’arrêtais pas de me le répéter et j’essayais, mais j’échouais. »

« Quand t'es en dépression, c'est comme si tout est dur, tout est compliqué, tout est une montagne. C'est comme ça que je le vivais, et parfois j'avais pas envie d'expliquer comment je me sentais parce que je me disais que les gens vont pas comprendre. Ils vont juste penser que je suis faible ou triste et que j’ai pas de raisons d’être dans cet état. »

Quand Christina a vu que ça marchait pas de juste « se motiver », elle n’a pas hésité : elle est allée chercher de l’aide spécialisée, d’abord auprès d’un médecin, puis auprès d’une thérapeute. Elle savait tout le bien que ça pouvait faire. « À l’hôpital où ma mère était suivie, on m’avait offert des soins gratuits de psychothérapie. Ça m’avait grandement aidé à extérioriser mes sentiments, mes émotions en lien avec la maladie de ma mère, avec moi, avec la préparation à un deuil éventuel. J’ai pu traverser tout ça avec l’aide de la thérapie. »

Maintenant Darley. En mai 2022, Darley a 36 ans, un jeune enfant et une femme qui l’aime. Mais dans son emploi d’éducateur spécialisé, c’est la « descente aux enfers ». Sans entrer dans les détails, Darley parle d’une « fin d’année chaotique », qui lui a causé un stress épouvantable. « J'ai commencé à me sentir blasé, à bout de souffle, irritable et éparpillé. J'avais aussi des crampes à l'estomac, de la difficulté à dormir, j'allais au travail vraiment à reculons. »

Devant tous ces problèmes, Darley ne va pas chercher de l’aide. C’est un « battant », qui s’entête à faire ce qu’il a toujours fait en cas de stress intense. « Je voyais bien que j’étais aux prises avec des difficultés, et ma solution c’était de faire du sport et, au travail, de me tuer à la tâche. Je me disais : je vais travailler, travailler et livrer la marchandise. C’était ça le mindset. »

Déjà pensif de nature, Darley se renferme sur lui-même et délaisse son côté créatif. Sa femme voit bien qu’il n’est plus lui-même. «  Elle voyait que je perdais de l’intérêt pour les choses que j’aimais comme le dessin. J’étais souvent en retrait, dans mes pensées. Dans la vie en général, je le suis les trois quarts du temps. Mais là, j’habitais carrément dans ma tête et j’en ressortais pas. »

La femme de Darley tente bien de le convaincre d’aller consulter. Mais Darley a la tête dure. Il est sûr que ses difficultés vont passer, comme d’autres avant elles. Et une chose aussi : il ne veut pas se montrer vulnérable devant son épouse. « Quand elle essayait d’en parler avec moi, j’avais tendance à esquiver le sujet et tout simplement faire mes affaires. »

Au bout d’un temps, Darley finit par s’ouvrir à sa femme. Et fervent chrétien, il s’adresse à sa puissance supérieure depuis le début. Mais comme on dit : ce que femme veut… « Je priais, mais Dieu me répondait que je ne devais pas seulement prier, mais aussi me mettre en action et aller chercher de l’aide. »

« Ma femme me disait : "je sais que tu veux finir l’année [scolaire, ndlr], je sais que c’est dans ton tempérament de vouloir finir ce que tu commences, mais il faut que tu penses à ta santé aussi. J’ai beaucoup cogité, réfléchi là-dessus. Puis le 27 mai, j’ai pris la décision d’aller consulter un médecin. »

Christina et Darley font partie des millions de Canadiens affectés par une forme de détresse psychique depuis la COVID-19. Dans une enquête que l’Agence de la santé publique du Canada a menée début 2021, 1 adulte sur 5 au pays a été dépisté positif à une dépression majeure ou un trouble d’anxiété généralisé.

Mais c’est quoi la dépression en fait? La psychologue Ashrah Lucas explique. « Pour qu’une personne soit diagnostiquée d’une dépression, elle doit présenter deux des symptômes qui suivent : soit une humeur dépressive – se sentir triste, se sentir vide, être sans espoir et pleurer toute la journée – ou sinon une perte d’intérêt marquée et de plaisir et ce, pour toutes les activités quotidiennes. Il faut aussi que ça dure pendant au moins 14 jours. Il faut aussi qu’elle présente au moins quatre des symptômes suivants : perte ou gain de poids, perte ou gain significatif d’appétit, insomnie ou hypersomnie, ralentissement psychomoteur ou agitation, fatigue ou perte d’énergie pendant toute la journée, sentiment de culpabilité, dévalorisation, difficulté à penser, trous de mémoire, idéation suicidaire. »

La dépression, est-ce que c’est ce qu’on appelle une humeur dépressive? Pas tout à fait, nuance Dre Lucas. « Une dépression, c’est vraiment un diagnostic. Ça doit répondre aux critères mentionnés plus tôt. Tandis qu’une humeur dépressive, ça peut arriver à tout le monde d’être plus déprimé quelques fois, c’est normal. Mais quand ça persiste dans le temps, que ça perdure, c’est là qu’on peut parler de dépression. »

Être en dépression, c’est déjà difficile. Mais être en dépression ET afro-descendant, c’est pas mal compliqué. Compliqué à vivre et compliqué à faire comprendre.

Christina :

« Les gens vont juste penser que je suis faible ou que je suis triste. Ils vont dire : "mais qu’est-ce que t’as à pleurer? T’es bien, t’as un mari, un enfant en santé, un bon travail, une maison où vivre." »

Darley :

« J’en ai parlé à mes parents, ils compris que j’étais fatigué, mais en même temps, ils étaient comme "fò ou met gason sou ou [faut que tu fasses un homme de toi, NDLR]. Tu sais, tu as une femme et des enfants.".

Il y a plusieurs facteurs derrière ces attitudes, relève la psychologue Ashrah Lucas. « Il y a la crainte, la honte associées au fait d’avoir un trouble de la santé mentale comme la dépression. Souvent, on va dire que se maladi blan. On aime se voir comme des personnes fortes. On l’est, mais le concept de vulnérabilité fait peur. On ne veut pas être vulnérable. Et, on va se le dire, on est en minorité – du moins au Québec – et il y a souvent des stéréotypes négatifs liés au fait d’être noir. Alors rajouter le fait d’être en dépression, c’est comme si c’était trop et qu’on voulait "garder ça pour les Blancs".

On banalise aussi le fait de ne pas aller bien. On se dit que "c’est la vie". Ça contribue à la réticence de se considérer comme quelqu’un qui souffre mentalement. Et on est beaucoup en mode action, en mode go-go-go : le travail, les enfants, le métro-boulot-dodo. C’est ce qui nous valorise en tant que personnes noires dans la société occidentale. Alors que penser à sa santé mentale, ça demande un temps d’arrêt. Mais tranquillement, les choses changent. Je le vois chez mes patients. J’en ai qui parviennent à s’avouer vulnérables. Des patients sont « tannées d’être la femme forte ».

Si un proche vous semble en dépression, ça n’aide pas de le « secouer », de l’inciter à se « botter le derrière ». Croyez-en ceux qui l’ont vécu. « La dépression, ce n’est pas de la faiblesse ni de la paresse. C’est pas un manque de volonté. C’est pas une question de simplement se ressaisir. Non, c’est un problème de santé. »

Ce qu’il faut, c’est écouter. Et d’une façon bienveillante, comme l’explique Ashra Lucas. « 

Grâce à la thérapie, un traitement et le soutien de ses proches, Christina a pu remonter la pente. Aujourd’hui, elle se sent beaucoup mieux qu’il y a 2 ans. « C’est le jour et la nuit. J’arrive à me projeter dans le futur, ce que je ne faisais plus quand j’étais en dépression. Je fais des activités, je crée des occasions de sortir, je vais chercher mon fils à la garderie, je joue avec lui davantage, j’extériorise mes émotions davantage, je ris beaucoup plus, j’ai retrouvé le goût d’écrire, j’arrive à faire de la lecture, ce que je n’arrivais plus à faire depuis 2021 parce que ça demande de la concentration et que ma concentration était mise à mal quand j’étais en dépression, je suis bien. »

Darley aussi va mieux, grâce entre autres, à l’aide d’une travailleuse sociale. Et il a un message pour les Afro-descendants. « On n’est pas des Wakandais! On peut être vulnérables. Faut qu’on parle. Des fois, c’est en parlant qu’on réalise qu’on ne va pas bien et qu’on peut se mettre en action. Dernièrement, un de mes amis, un jeune qui fréquentait l’église, s’est suicidé et a laissé une lettre. Je l’ai très mal pris, et tout le monde est surpris que la dépression frappe nos rangs, même à l’église. Mais personne n’est exempt. Alors prenez soin de vous et de vos proches. Lorsqu’ils vous disent qu’ils ne vont pas bien, écoutez-les.»

 

Si vous vous reconnaissez dans notre épisode et que vous cherche de l’aide, il y a des ressources : on a Info-Santé (le 811), vous pouvez parler à votre médecin de famille, ou même trouver de l’aide sur le site de l’Ordre des psychologues du Québec à O-R-D-R-E-P-S-Y point Q-C point C-A

Hésitez pas à chercher de l’aide.

Odyans est écrit, produit et réalisé par Christina Dabel et moi, Ralph-Bonet Sanon. On tient à dire un grand merci à Ashrah Lucas, de la Clinique de psychologie Papineau. Vous pouvez la contacter à ashrahlucas.psychologie@gmail.com ou au 438-882-8802. Et je tiens personnellement à dire merci à Darley et à Christina pour leurs précieux témoignages.

 

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2024

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