S’adapter à la vie au Québec
Dans ce second épisode, on suit le parcours d’immigrants haïtiens suite à leur arrivée au Québec. Comment se sont-ils intégrés? Comment ont-il trouvé du travail, un logement? Est-ce que c'était facile avant?
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Transcript
Les valises sont posées dans un nouveau pays. Pourtant ce qui devait être un évènement heureux nous donne le cœur gros. On appelle ça la nostalgie.
Retour sur l’expérience de quelques personnes qui ont immigré dans les années 70.
André, arrivé au Québec en 1974. « Ce qui m’a touché le plus, c’était la culture du pays […] À l’époque, [le groupe] Skah-Shah avait une chanson qui parlait d’Haïti et qui disait : Moun lakay mwen panse m ere, le m pa ekri yo kritike [Les gens chez moi pensent que je suis heureux, quand je ne leur écris pas, ils critiquent, NDLR]. J’écoutais cette chanson 10-15 fois en boucle, couché sur mon sofa. Je ne me connaissais pas ce côté-là. Je n’allais pas dans les bals dansants chaque semaine, mais ça, ça me démangeait et ça me manquait et je me demandais comment je peux fuir tous ces amis, tout ce monde pour venir me réfugier ici. »
Marie-Ange, arrivée à Montréal en 1974. « Pendant 6 mois, ma mère m’envoyait de l’argent depuis Haïti pour me faire vivre et pour pas que je revienne […] Je voulais retourner, je pleurais tout le temps parce les gens chez moi me manquaient, je souffrais et j’avais les pieds enflés chaque jour après travail. »
Pour d’autres, pas le temps de penser à ce qu’on a laissé derrière. C’est le cas d’Achou, arrivé en 1976. Son pays natal ne lui manquait absolument pas. « Non, non! Tout sa ki dominew se si ou pa gen yon bagay wap fe. [RS1] Je suis rentré ici un samedi et le lundi suivant, je travaillais. J’ai mon frère Boss Da qui m’a dit mais qu’est-ce que tu vas retourner faire en Haïti? J’ai dormi là-dessus et le dimanche j’ai appelé un ami que j’avais déjà à Montréal qui m’a référé à un emploi. »
Le français dans tous ses états
Avant d’arriver au Canada, beaucoup d’immigrants francophones pensent qu’ils n’auront pas besoin d’apprendre une nouvelle langue. Sauf qu’une fois au Québec, ils se rendent compte bien vite qu’ils ont un apprentissage à faire : celui de la parlure québécoise!
« Au début, j’avais de la misère à m’adapter au langage des gens », raconte Marie-Ange, dans un créole aujourd’hui métissé de tournures québécoises. « Des fois, les gens me parlaient au travail et je demandais à ma cousine quelle langue ils parlaient. Elle me répondaient que c’était du français, mais je n’étais pas habituée à ce langage : toé-là et tout ça, je n’y comprenais rien. Mais j’ai fini par m’habituer. »
En effet, l’apprivoisement du français québécois se fait vite. C’est que les immigrants sont déterminés. Par exemple, Edith, arrivée en 1980, ne se gênait pas pour demander à ses professeurs de cégep de répéter quand elle ne les comprenait pas. « Qu’est-ce qu’il y a? Vous ne comprenez pas? Mais je parle français », lui répondait-t-on. « Mais moi aussi », rétorquait-elle du tac au tac. « Des fois, je ne vous comprends pas quand vous parlez. Je ne veux pas vous insulter, je veux juste comprendre, c’est tout. »
Pour Édith, l’adaptation a été rapide. Entre autres, grâce à un professeur haïtien qui lui a enseigné les particularités de la phonétique au Québec : comment par exemple, le son /a/ se prononce [ɑ] ~ [ɔ]. « Quelques mois après, j’avais compris. Ah, c’est comme ça qu’ils parlent alors? Et bien OK, pas de problème!
Idem pour Achou. Après le choc du début, il a rapidement appris à comprendre la parlure des Québécois. Sans jamais essayer de l’imiter par contre. «À l’époque, quand ils parlaient, je répondaient : ce n’est pas la langue de Molière, ça! Je la connais très bien et ça n’y ressemble pas! Ensuite, au fil du temps, je me suis adapté. Mais je ne joualais pas et je ne sacrais pas. »
L’ignorance
Si certains nouveaux arrivants se sentent accueillis par leur pays d’adoption, d’autres se heurtent plutôt à la peur et à l’ignorance de membres de la société d’accueil.
Marie-Ange se souvient des réactions qu’avaient les gens rien qu’en la voyant. « Un jour, je me suis rendue avenue du Parc pour un emploi. Quand je suis arrivée, tous les gens qui étaient dans le bureau sont partis en courant », raconte-t-elle.
« Une fois, quelqu’un m’a demandé si c’était la couleur de ma peau ou de la saleté, ajoute Marie-Ange. Je lui ai dit de passer un papier sur ma peau pour le savoir. Et l’imbécile l’a fait! »
Édith se souvient de la réaction d’un employeur quand elle lui a dit qu’elle n’était pas au Québec depuis longtemps. « C’est là que j’ai compris que ce monsieur ne voulait pas de moi. J’étais la seule Noire. Il m’a dit qu’il n’y avait pas de travail. Pourtant, d’autres étudiantes de ma classe, des Blanches, travaillaient, elles. »
Raphaël. « Quand ma femme est arrivée d’Haïti en 1975, j’ai dû trouver un plus grand apartement. J’ai trouvé un 3 ½ sur Amherst, près du Parc Lafontaine. J’ai appelé, on m’a dit de venir. Au téléphone je n’avais pas d’accent, mais quand on m’a vu on m’a tout de suite dit que le logement était loué. En quittant, j’ai arraché la pancarte à louer et je l’ai jetée. »
La xénophobie pouvait aussi s’infiltrer dans le monde du travail.
Raphael en témoigne : « J’étais superviseur dans un emploi en usine et un de mes employés a fait une erreur, j’ai dû le congédier. Sa mère a appelé pour se plaindre : "Ils sont venus ici pour voler nos jobs." Elle s’est défoulée en crachant tout ce qu’il y a de mauvais sur les étrangers. Je l’ai laissé parler et je lui ai dit : "Madame, savez-vous à qui vous parlez? C’est au maudit étranger. Votre fils ne vous a sûrement pas dit ce qui s’est réellement passé. Pourtant vous m’appelez pour me bombarder, pour m’injurier. »
Marie Ange, qui a vécu en maison de chambres, se souvient du jour où quelqu’un a saboté ce qu’elle faisait cuire. et après avoir laissé son repas sur la cuisinière, elle a retrouvé de la mousse dans la casserole. C’était du savon de vaisselle.
Elle a dénoncé la situation auprès du propriétaire. Le propriétaire est allé confronter l’autre locataire québécois qui a fait ça.
Tous ces exemples montrent que l’adaptation au Québec n’a pas été de tout repos pour les Boomers mais qu’elle était riche en anecdotes de toutes sortes. Malgré les embûches ils n’ont pas lâchés et se sont bâtis une vie sur cette terre d’accueil.
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2024