Les boomers haïtiens débarquent

 

L'accélération de l'immigration haïtienne à Montréal dans les années 1970, vue à travers les yeux de ceux qui l'ont vécu : les boomers haïtiens. Retour sur le parcours de certains d'entre eux.

 

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Au Québec, l’arrivée des immigrants haïtiens s’accélère à partir des années 1970. Aujourd’hui, la communauté haïtienne compte plus de 140 000 membres dans la province. Des raisons de quitter Haïti, il y en a autant qu’il y a d’Haïtiens.

Pour André, c’était le désir de changer de carrière. À l’époque, il était un jeune directeur d’école, pris dans un conflit avec un partenaire d’affaire. Il occupait aussi un poste qu’il n’aimait pas et en plus, son rêve de devenir avocat semblait hors de portée. « Avec le stage de 2-3 ans qu’il faudrait faire dans un bureau d’avocats, mon école qui allait fermer et mon emploi à la banque qui ne me plaisait pas trop, j’ai décidé d’aller faire un tour à l’étranger. Et le formulaire dont je disposais, c’était celui du Canada. »

Pour d’autres, ce qui pousse à partir, c’est l’impression que l’herbe est plus verte ailleurs. Parlez-en à Raphael, arrivé à Montréal à l’automne 1974, à la fin de son baccalauréat. « Quand tu vois tout un tas d’amis quitter le pays et changé leur situation, toi aussi t’aimerais améliorer ta vie. »

Avant son départ, Raphael recevait de nombreux cadeaux de sa famille aux États-Unis. Il avait un grand-frère et un oncle à Miami et grâce à eux, sa mère et lui ne manquaient de rien. « En les voyant nous couvrir de belles choses, je me suis dit que je devais décamper moi aussi. J’avais pas de problèmes en tant que tel en Haïti, mais en grandissant, tout le monde rêve d’une meilleure vie. C’est plus ça qui m’a poussé à émigrer. »

La quête d’une vie meilleure est un thème récurrent dans la communauté. Pour Marie-Ange, c’est une cousine établie au Canada qui l’encourage à venir. « Ma mère avait fait affaire avec une agence. Elle a payé pour qu’on fasse toute les démarches. On m’a inscrite aux études, au Cégep du Vieux-Montréal. »

De son côté, Edith s’est sentie prise au piège par le favoritisme dont elle avait entendu parler au sujet du système d’éducation haïtien. « J’avais vraiment peur de passer l’examen pour la rhéto parce qu’il fallait un piston comme on dit, un professeur ou quelqu’un qui t’aime pour aller plus loin [...] J’ai donc écrit à mon feu frère qui était déjà ici [à Montréal, NDLR] pour lui dire [..] que je n’aimerais pas rester en Haïti pour terminer mes études et que j’aimerais qu’il m’aide à venir au Québec. »

L’arrivée au pays

Justement, parlons de l’arrivée au Québec. Le paysage, l’accent, le climat, les odeurs, les sons, tout est nouveau. Il y a de quoi se sentir désorienté, déboussolé, mais pourtant il faut rapidement trouver ses repères.

Prenons l’exemple de Marie-Ange. À peine sortie de l’aéroport, on la met déjà en garde contre les dangers qui guettent les jeunes femmes comme elle. « Ma cousine qui vivait ici m’avait dit de prendre un taxi quand j’arriverais à l’aéroport de Montréal-Mirabel. Mais un couple qui avait pris l’avion avec moi a insisté pour m’amener. Il s’est entendu avec ma cousine au téléphone et m’a ensuite conduite jusqu’à elle. Plus tard, l’homme du couple m’a expliqué qu’il voulait m’éviter les taxis par peur que des hommes m’emportent, m’obligent à devenir danseuse nue et à leur rapporter l’argent. »

Mais peu importe le choc de la nouveauté : une fois les valises défaites, il faut déjà penser à comment gagner sa vie. André peut en témoigner. « Au moment où je suis arrivé ici, j’étais déjà dans les liens du mariage et lorsque j’ai quitté le pays, je savais, de plus, qu’elle était enceinte. Alors, il me fallait trouver un travail au plus vite, de façon à trouver un revenu et commencer à l’aider dans sa propre venue au pays. »

Heureusement, le Québec avait un grand besoin de main-d’œuvre ouvrière dans les années 70. Trouver du travail était donc un vrai jeu d’enfant. « Je me suis présenté dans une compagnie sans qu’on m’appelle. J’ai dit que j’avais apporté mon CV, mais qu’on ne m’avait pas appelé. On m’a demandé comment je m’appelais et si je voulais commencer tout de suite. J’ai dit OK. »

Marie-Ange, elle, est tombée sur une véritable manne d’emplois dans le secteur manufacturier. « Parfois, je pouvais finir la semaine avec deux, voire trois chèques de paie différents. Des fois, je trouvais un travail, je le quittais parce qu’il me plaisait pas et j’en trouvais un autre dans le même building. Il y avait beaucoup de travail. C’était pas payant, mais il y en avait. On embauchait partout.»

Pour certains nouveaux arrivants, le rôle d’étudiant s’ajoute à celui de travailleur. André : « J’ai décidé d’aller au HEC, mais comme je devais rester disponible pour travailler, je travaillais le jour et allait à l’école le soir. » Édith : « J’ai commencé à travailler à ma 3e session comme étudiante. C’était des jobines d’étudiants. Je me souviens d’avoir travaillé chez Pingouin Laine, où je faisais des échantillons de laine. » Raphaël : « J’ai dit à mes patrons que je pouvais travailler le soir. J’ai commencé à travailler de 23h à 7. Des fois, j’avais cours à 8h. Imagine : je devais partais de Ville-Saint-Laurent pour me rendre au Cégep du Vieux-Montréal. Des fois je prenais ma douche au Cégep. Enfin c’était pas facile, mais quand on veut on travaille pour. »

 

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2024

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