“Kidnapping Inc.”, un regard différent sur Haïti
Peyi a pa bon! Le pays va mal, l’insécurité règne et pourtant, ces jours-ci, un cinéaste haïtien fait la promotion d’un film qui met le doigt sur le problème tout en restant comique. Du festival Sundance au Festival Cinestar, en passant par le Festival international du film black de Montréal (FIFBM), Kidnapping Inc., de Bruno Mourral, désarçonne par son mélange de drame, de comédie noire et d’action.
C’est que Kidnapping Inc. ne se cantonne pas. Oui, le film traite de sujets sérieux comme la violence armée, la corruption, les divisions de classe et le colorisme. Toutefois, la production franco-canado-haïtienne ne verse pas dans le poverty porn. Elle ne fait ni dans les images de misère révoltante ni dans la musique mélo pour plaindre ces pauvres Haïtiens. Au lieu de ça, elle mêle sans complexe la gravité des sujets à de l’humour noir, grâce des interprétations investies, des dialogues « savoureux » – comme ils ont été décrits au FIFBM en septembre – et des scènes d’action enlevantes.
« Certaines personnes ont été surprises dans le bon sens, et d'autres ont été un peu, disons, perdues dans ce film de genre », observe celui qui a réalisé, coscénarisé, monté et coproduit son premier long-métrage.
« Et ça, ajoute-t-il, ça sera surtout l’avis généralement qu'on retrouve de critiques qui ne connaissent rien sur Haïti, ou sur la Caraïbe, ou d'une société qui est tellement différente de la leur et qui ne peuvent pas comprendre ce genre de société, puisque c'est tellement dysfonctionnel que ça fait presque gag total pour eux. »
Tragédies
Kidnapping Inc. tire son origine de tragédies humaines certes, mais aussi d’une façon typiquement haïtienne d’y faire face.
« En Haïti, on a un peu cette façon d'aller rapidement vers la dérision, de rapidement raconter nos problèmes à travers l'humour en fait, et je pense que c'est une façon pour nous d'alléger nos fardeaux parce que vu qu'on vit dans une situation compliquée chaque jour, notre seule façon de traverser tout ça, c'est d'alléger la situation en riant un peu », expose le cinéaste kapwa (originaire du Cap-Haïtien).
L’idée du film, relate Mourral, lui est venue après l’assassinat de son père en 2005. Rentré au pays pour les funérailles, celui qui étudiait alors le cinéma en France a eu envie de parler de l'insécurité et du phénomène de kidnapping. Il a alors interviewé des personnes qui en avaient été victimes. « La plupart de ces gens-là racontaient leur histoire avec un certain humour et très souvent on se retrouvait tous les deux à être un peu inconfortables, à rire en fait d'une situation tellement absurde que, voilà, ce sont des choses qu'en Haïti, j'ai tellement vu des situations où tu te dis, même si tu mettais ça dans un film, les gens te diraient c'est exagéré, quoi. »
Les tragédies et les dysfonctionnements ont marqué la production de l’œuvre. Ne serait-ce que l’enlèvement de trois membres de l’équipe de tournage en 2021, l’insécurité suivant l’assassinat du président Jovenel Moïse, la pandémie de COVID-19 ou le meurtre en 2023 d’un des acteurs du fim, Ralphe « Sexi » Théodore. En dépit des difficultés, M. Mourral a poursuivi son projet qui revêt une grande importance pour lui.
Au-delà du 1er degré
Avec son mélange des genres, ainsi que ses images et dialogue crues, le film ne fait pas l’unanimité. Prenons, par exemple, l’usage du mot neg, assimilé au « mot en n » en français, mais qui prend plutôt le sens de « homme » ou « gars » en créole haïtien. Ou l’emploi du mot mulat, dont le pendant français est à éviter, mais qui s’utilise couramment en Haïti. En focalisant sur le 1er degré, les critiques loupent les problèmes de fond dénoncés dans le film, comme l’instrumentalisation du colorisme à des fins politiques, au grand dam du cinéaste.
« Certaines personnes ne pourront pas comprendre ça, et c'est pour ça qu'on reçoit des critiques. Après, le film a aussi ses erreurs, il n'est pas parfait […], c'est juste que je dis que j'ai un problème avec certaines critiques de personnes qui ne connaissent rien de ce genre de société ou de ce pays et qui vont critiquer le film sur ça. Ils peuvent critiquer sur tout le reste, mais si je suis ouvert des fois, ça je le prends un peu mal », confie M. Mourral.
À l’affiche depuis le 11 octobre dernier dans les Antilles françaises, Kidnapping Inc. devrait sortir en salle en février 2025 au Canada et aux États-Unis. Des droits de distribution ont aussi été acquis en Amérique latine, en Asie et en Europe, annonce M. Mourral.